Agriculture Écologie

Dossier : L’eau qui fait couler beaucoup d’encre

Sécheresse, bassines, l’eau a fait l’objet de nombreux articles dans la presse ces derniers mois, La Vienne Démocratique y consacre un dossier en sollicitant les points de vue de Nicolas Fortin de la confédération paysanne, et de Hugo Blossier du PCF. Celui de Vienne Nature est consultable ici.

L’eau est un sujet majeur qui concerne tous les citoyens et qui a une une résonance particulière dans le monde agricole ? Que pensez-vous des projets en cours ?

Nicolas Fortin : Pour notre confédération les choses sont claires nous défendons une production agricole qui préserve la qualité des paysages, de l’eau et des sols. S’agissant de l’eau dans notre département, 2 problèmes se posent, sa qualité avec les nitrates et les pesticides et sa quantité comme la sécheresse de cette année l’a mis en exergue. Bien que nous ne sommes pas opposés à du stockage d’eau par principe, nous sommes défavorables au projet de bassines sur la vallée du Clain parce qu’il encourage un modèle agricole intensif comme celui du maïs, actuellement c’est 40 % des surfaces irriguées. C’est un projet onéreux, 70 millions d’euros dont 50 millions de subventions publiques (Europe, Agence de l’eau) alors que 2 années sur 10 les bassines ne pourront pas être utilisées. C’est un projet qui ne préserve pas la ressource puisque les irrigants concernés, soit environ 150, pourront consommer plus d’eau, le volume actuel autorisé par arrêté préfectoral et celui stocké dans les bassines. De surcroît sur les 9 millions de m3 de stockage possible, seulement 125 000 seront réservés pour les nouveaux raccordés. Bien que la part à charge des exploitants soit d’environ 30 % du coût d’investissement, c’est de l’endettement supplémentaire à amortir et il faut y ajouter les coûts de fonctionnement, notamment l’électricité dont les factures explosent. Avec les bassines, il faut pomper 2 fois pour remonter l’eau de la nappe vers les bassines, puis pour arroser les cultures. Aujourd’hui, ces coûts seraient compensés par le cours élevé du maïs en raison de la guerre en Ukraine, mais cette situation est conjoncturelle.

Hugo Blossier : L’eau nous fait vivre, est indispensable pour les écosystèmes et leur biodiversité, participe à la production de notre alimentation, de notre énergie… Nous sommes donc tou·te·s concerné·e·s. 75 % du territoire Néo-Aquitain est en insuffisance chronique de ressources hydriques par rapport aux besoins et 55 % des masses d’eau de surface et 30 % des souterraines sont en état classé « moyen ou mauvais »… il y a donc des choses à changer d’urgence et c’est du côté de l’usage agricole qu’il y a le levier le plus important car il est le premier consommateur d’eau. C’est même pour cela que les irrigant.e.s, bien avisé.e.s du problème de quantité et de la priorité légale pour l’alimentation en eau potable, ont mis les projet de « méga-bassines » sur la table pour tenter de parer à d’inévitables restrictions. D’autant plus que le changement climatique va provoquer pour notre territoire des sécheresses plus fréquentes et plus longues, y compris l’hiver, des précipitations plus regroupées dans le temps et sûrement une diminution de l’écoulement d’eau, notamment à cause de l’augmentation de l’évaporation. Si l’on attend beaucoup de l’agriculture c’est aussi parce qu’on connaît les impacts du modèle actuel et qu’on voit aussi les progrès déterminants qui viendraient de sa mutation. Loin de régler les problèmes, les méga-bassines prennent même le risque d’en accentuer… mais les empêcher ne suffira pas si la gestion de l’eau et les pratiques agricoles n’évoluent pas. Chaque année de perdue est un drame et on ne peut pas non plus se satisfaire de changements à la marge. Nous demandons donc l’arrêt de ces projets et l’ouverture de débats publics associant paysan·ne·s et usager·e·s, élu·e·s et chercheur·euse·s de toutes disciplines sur les moyens de préserver et de partager les ressources en eau.

il y a donc des choses à changer d’urgence et c’est du côté de l’usage agricole qu’il y a le levier le plus important car il est le premier consommateur d’eau

Quel projet alternatif pour préserver la ressource ?

Nicolas Fortin : Il faut d’une part rappeler que l’irrigation ne concerne que 10 % des surfaces agricoles dans notre département et que les agriculteurs qui n’irriguent pas n’ont d autre choix que de s’adapter. Nous demandons qu’il y ait un projet de territoire de gestion de l’eau sans lequel l’Agence de l’eau ne peut être autorisée à financer un tel projet. Il s’agit d’argent public qui provient pour l’essentiel d’une taxe prélevée sur la facture d’eau que chacune et chacun d’entre nous paie.

Il faut commencer par une large concertation par établir un projet agricole. Un projet qui prend en compte la nécessité de faire évoluer notre modèle agricole pour qu’il soit économe en ressources naturelles. En effet, irriguer en pompant dans les nappes, ou les cours d’eau, en faisant des stocks : chacun mesure que la ressource est épuisable, ce qui aura des conséquences pour tout le monde. S’agissant de l’irrigation, elle est nécessaire et nous y sommes favorables pour le maraîchage, l’arboriculture, pour la production de semences en limitant les quantités. Son accès doit être équitable, contrôlé notamment pour permettre l’installation de jeunes paysans.

Hugo Blossier : De véritables projets de territoire pourraient comprendre des exigences très fortes et les moyens de les faire respecter. En matière d’économies d’eau, avec un partage équitable et la protection des écosystèmes et de leur biodiversité avec par exemple le relèvement des seuils d’étiage des rivières. En matière de qualité de l’eau, notamment par la réduction drastique des intrants chimiques, avec des moyens d’accompagnement et de contrôle à la hauteur. En matière d’alimentation, avec des productions plus saines, l’installation de productions maraîchères, de vergers, d’élevages non industriels à proximité des bassins de vie, ce qui doit aussi être bon pour l’emploi et les revenus des producteurs.

Tout ceci n’est envisageable qu’à travers une gestion publique de l’eau répondant aux objectifs démocratiquement décidés et permettant une transition massive vers un modèle de réseau dense d’exploitations à taille humaine aux systèmes de production agroécologiques, plus économes et qui permettent le stockage de l’eau dans les sols. Dans ce cadre, des systèmes de récupération des eaux de pluies ou de véritable substitution avec de petites retenues partagées et gérées équitablement sont tout à fait intéressants.

En agriculture les plus forts taux de profits sont obtenus par des systèmes qui épuisent les ressources sans les renouveler. Le modèle agricole ainsi impulsé consomme beaucoup d’intrants au profit des multinationales, de l’agrochimie, de l’agro-alimentaire, des banques… c’est à leurs objectifs qu’il faut s’attaquer ! Et ce sont justement les grands absents des « concertations » organisées jusqu’ici par l’État. Le nœud du problème est là, contester les logiques capitalistes est indispensable pour que les intérêts populaires s’imposent aux choix de gestion des entreprises agricoles.

Laisser un commentaire