Héloïse est militante et bénévole au planning familial de la Vienne depuis sept ans. Le planning familial étant membre du « collectif du 8 mars », elle participe et organise de nombreuses actions et campagnes pour la semaine du 8 mars mais aussi pour d’autres événements publics.
Vienne Démocratique : Tu es impliquée au planning familial et dans le « Collectif du 8 mars » depuis quelques années. Quelle est l’origine de ton engagement ?
Héloïse Morel : Durant mon Master 1 à l’Université de Poitiers j’ai travaillé sur l’Histoire des femmes et du genre. J’ai commencé mes recherches sur la pudeur féminine au XVIIe s. Ensuite, sous la direction d’Anne Jollet en Master II sur Constance de Salm poétesse protoféministe de la fin du XVIIIe s. En travaillant sur ce sujet et sur ses textes d’engagement, je me suis dit que ce n’était pas suffisant, je voulais avoir un engagement militant. C’est durant cette période que j’ai eu des lectures féministes, des féministes américaines comme Andrea Dworkin et françaises comme Christine Delphy. Même dans les historiennes que je lisais, j’y trouvais une vraie force qui a vraiment nourri mon féminisme à cette époque-là. Je me suis demandée comment très concrètement apporter quelque chose, me former. Le Planning familial m’attirait : c’est un mouvement d’éducation populaire, partir de ce que les gens ont à dire, de leurs représentations pour en discuter. Je voulais modestement faire avancer les choses, l’un des objectifs de chaque militantisme.
VD : Ta directrice de recherche t’a-t-elle aidée dans ton engagement ?
HM : J’ai eu de nombreuses discussions avec Anne Jollet. Cependant, ce n’est pas elle qui m’a orientée vers le bénévolat au Planning familial. Je fais partie de la rédaction des Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, c’est une autre forme d’engagement. J’essaye de l’avoir par mon travail de recherche mais aussi par mon action dans la médiation scientifique et dans les propositions que je peux faire.
VD : Quel est l’événement qui t’a le plus choqué dans ton parcours militant ?
HM : Il y a plein de choses qui me choquent quotidiennement. Par exemple, au début de mon parcours au Planning familial c’était la question de l’avortement. Même si nous avons la loi Veil, c’était de rencontrer des femmes qui étaient en délai dépassé pour avorter légalement en France, et c’est encore le cas aujourd’hui. De nombreuses femmes de Nouvelle-Aquitaine vont en Espagne et payent un avortement entre 800 et 1000€. Ce commerce sur l’avortement et le corps des femmes est quelque chose qui me choque. Cela vient de l’incapacité des États à uniformiser les délais pour bénéficier d’un avortement. Les autres sujets qui me choquent ou influencent mon envie de militer sont toutes les affaires de libération de la parole autour des violences, incestes, etc. Tout est relié à un manque d’éducation à la sexualité, au fait d’être incapable de trouver les mots, de dire ce que l’on subit. Ça fait partie du quotidien de ce qu’on peut rencontrer au Planning familial, dans les rencontres que l’on fait dans le milieu scolaire ou lors des permanences d’accueil. Nous sommes toujours face aux mêmes problématiques, ça ne bouge pas.
VD : Quel est ton meilleur souvenir militant ?
HM : Il y en a plein ! J’ai beaucoup aimé les quarante ans de la loi Veil. Il y a eu une mobilisation nationale très importante, aller à Paris avec d’autres militantes du Planning familial. Les féministes étaient rassemblées et c’est important de voir que dans ces situations il y a un devoir de mémoire mais aussi des revendications. Après, c’est de voir qu’il y a des choses qui bougent, des petites victoires. Je parlais des avortements en délai dépassé : voir des femmes désespérées de leur situation et qui veulent avorter et qui le feront envers et contre tout, et qui réussissent malgré les contraintes financières. Je me souviens d’une jeune femme de 18 ans qui avait des problèmes financiers et qui avait fait un prêt. Elle était allée seule en Espagne et à son retour elle était superbe. Ça fait partie des événements marquants. Même moi, en connaissant les recours et les parcours, je pense que je serais plus abattue qu’elle en traversant cette épreuve.
VD : La mobilisation devient de plus en plus compliquée, comment vois-tu la mobilisation aujourd’hui et comment être efficace dans la lutte et la médiation ?
HM : C’est une question qui se pose dans tous les milieux militants, on est tous un peu déprimés. C’est compliqué de se mobiliser et trop de choses viennent nous déprimer. Au Planning famillial nous continuons d’apporter une écoute. Nous essayons d’être là pour les femmes. Ce qui est motivant c’est que, malgré la situation, les mouvements de libération de la parole continuent. Les gens n’ont plus peur de raconter les violences, de dénoncer, de nommer. La mobilisation du 8 Mars 2021 à Poitiers a été une belle preuve de cela. Des jeunes femmes ont témoigné de leurs vécus, de la nécessité d’être entendues, d’être soutenues. Il y a eu un grand nombre de personnes, plusieurs générations, ça donne envie de continuer ! Ils ont moins peur de le dénoncer, ils ont moins peur et se sentent moins coupables. Ça nous renforce dans l’idée que nous devons continuer dans cette voie-là, celle de l’écoute et de l’accompagnement. Il faut absolument que l’éducation à la sexualité soit plus largement faite. Nous avons la loi de 2001 qui stipule qu’il faut trois heures par an d’éducation à la sexualité par élève de la primaire jusqu’à la fin du secondaire. Et elles et ils sont rares qui ont pu assister à une séance qui ne soit pas uniquement portée sur les maladies sexuellement transmissibles et les préservatifs. Parler de sexualité par le plaisir et le consentement est une façon de lutter contre les violences sexuelles et sexistes. La mobilisation doit rester sur ce créneau-là.
VD : Est-ce que tu penses qu’il y a une limite dans l’apprentissage dispensé dans l’éducation nationale ?
HM : Soyons honnêtes, quand tu es au collège ou au lycée, tu n’as pas forcément envie de parler sexualité avec ton prof. C’est logique, il fait partie de ton environnement quotidien, il est en lien avec tes parents. Ce n’est pas la personne privilégiée par les élèves. Cela ne veut pas dire qu’ils ne leur font pas confiance, mais les conditions ne sont pas là pour permettre ce dialogue. Avoir des intervenants extérieurs est différent. Quand nous intervenons nous rappelons que nous n’allons pas faire de rapports aux professeurs et parents, cela libère la parole totalement. Généralement les profs abordent la sexualité par le risque, puisque c’est plus facile à aborder. Le fait que nous abordions la question par le plaisir, en parlant et en mettant les mots sur comment ça se passe, ça permet une autre discussion avec les jeunes et les adultes. Les tabous chez les jeunes sont les mêmes chez les adultes. La question de la formation et du manque de formation chez les profs et chez toutes les personnes qui reçoivent et accueillent des publics est importante. Ils ne sont malheureusement pas assez formés, à l’écoute sur les questions de violence. Par exemple chez les médecins, former à déceler des mots dans le discours d’une personne, des maux corporels causés par des violences subies. Il faut amener les gens à se former pour répondre à cette situation. Je fais partie du Réseau violences conjugales de Poitiers qui réunit des professionnel.les du secteur social et médical, des associations des droits des femmes pour avancer sur des cas concrets que vivent des professionnels.
VD : Avec l’exemple de la démarche du dépôt de plainte suite à un viol qui aboutit rarement…
HM : Dans les choses qui continuent de me choquer, c’est l’accueil que peuvent avoir des femmes en gendarmerie ou au commissariat qui est déplorable, mais qui peut aussi être très bien. Il y a quelques individus qui essayent de faire leur travail correctement. Nous avons, encore aujourd’hui, des retours sur des refus de dépôt de plainte, ce qui est complètement interdit. Cela n’engage pas les autres victimes à y aller. C’est très compliqué pour une victime d’y aller, raconter son histoire dans les détails, ne pas être crue et avoir le droit à de mauvaises questions… Il faut savoir que toute victime de violence se sent coupable parce qu’il y a le phénomène d’emprise. Il faut être capable d’adapter son discours pour recevoir ces victimes. Il y a des personnes formées en police et gendarmerie, mais ce n’est pas forcément celles qui sont à l’accueil.
VD : Tes priorités pour l’avenir ?
HM : Continuer à lutter contre les violences dans tous les milieux. Il faut réussir à faire prendre conscience aux personnes que dans n’importe quel milieu on est en contact avec des victimes mais aussi des agresseurs. Comment on se positionne en tant que militant ? Comment dans des structures, dans des partis, syndicats, au travail, on est capable de se mobiliser pour ne pas fermer les yeux sur ce qu’il se passe et le travailler collectivement ?
VD : Une petite citation ?
HM : Une citation de Christine Delphy : « Quand une féministe est accusée d’exagérer c’est qu’elle est sur la bonne voie ». Actuellement et à chaque fois qu’il y a des mouvements de la libération de la parole, il y a toujours eu des tribunes contre, considérant les féministes comme des rabat-joies, disant “qu’on ne peut plus rien dire et faire”. Si l’on continue à faire ce travail et mettre des mots sur ce qui dérange, on peut amener les gens à réfléchir sur leur comportement et la violence en nous et autour de nous.
Entretien réalisé par Sam Franceschi
[…] Héloïse Morel : Durant mon Master 1 à l’Université de Poitiers j’ai travaillé sur l’Histoire des femmes. J’ai commencé mes recherches sur la pudeur féminine au XVIIe s. Ensuite, sous la direction d’Anne Jollet en Master II sur Constance de Salm poétesse protoféministe de la fin du XVIIIe s. En travaillant sur ce sujet et sur ses textes d’engagement, je me suis dit que ce n’était pas suffisant, je voulais avoir un engagement militant. C’est durant cette période que j’ai eu des lectures féministes, des féministes américaines comme Andrea Dworkin et françaises comme Christine Delphy. Même dans les historiennes que je lisais, j’y trouvais une vraie (lire la suite) […]