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Finance, dette, évasion fiscale… entretien avec Éric Bocquet

Éric Bocquet, sénateur communiste du Nord, vice-président de la commission finances et auteur avec son frère Alain de Sans Domicile Fisc* et de Milliards en fuite**, a passé une après-midi à Poitiers le 21 mars dernier. En compagnie d’une délégation locale d’élu.e.s et militant.e.s communistes, il a pu visiter les nouveaux locaux de la Banque de France à Poitiers, rencontrer son directeur puis s’entretenir avec les représentant.e.s du personnel. Il a ensuite animé une réunion publique en soirée. La Vienne Démocratique en a profité pour l’interroger.

La Vienne Démocratique : Quelles sont les conséquences concrètes de l’évasion fiscale ?

Éric Bocquet : La première conséquence visible est le déséquilibre budgétaire. Contrairement à ce que nous expliquent les gouvernements successifs et les tenants du libéralisme, notre budget n’est pas en déficit du fait d’un excès de dépenses sociales notamment, le déficit est dans le manque à gagner des milliards de recettes perdues. Il y a une estimation sérieuse qui situe le coût de l’évasion fiscale annuelle à 80 milliards d’euros, c’était le montant du déficit budgétaire d’avant la crise sanitaire. Je me souviens de l’affaire Apple en Irlande, la Commission européenne avait épinglé cette multinationale du numérique parce qu’elle devait 13 milliards d’euros au budget de la République d’Irlande. Un journaliste de l’Irish Times s’était posé la question de savoir ce que l’Irlande aurait pu faire de cette somme, la réponse fut la suivante : « Nous aurions pu construire 20 hôpitaux dans le pays. » Voilà un exemple concret des conséquences de l’évasion fiscale pour un pays. Enfin, ces pratiques fragilisent le principe républicain du consentement à l’impôt. Mener cette bataille est un enjeu politique majeur pour l’avenir.

La Vienne Démocratique : La finance pourrait-elle servir à une politique des Jours heureux ?

Éric Bocquet : C’est tout le sens de notre deuxième ouvrage Milliards en fuite que nous avons publié en septembre dernier. Aujourd’hui, dans le monde, ce sont moins de deux pour cent des transactions financières qui ont un lien avec l’économie réelle. En un clignement d’œil, on effectue 7 000 transactions financières, citons enfin le trading haute fréquence (THF), ces échanges boursiers, réalisés par des ordinateurs surpuissants qui tournent à la pico seconde (10ˉ¹² secondes). Toutes ces activités échappent à tout contrôle humain et n’apportent strictement aucun progrès concret à l’humanité et à nos sociétés. L’indécence est à son comble quand s’étalent les chiffres des bénéfices record pour l’année 2021, nous étions en pleine pandémie et les groupes du CAC 40 ont accumulé 160 milliards de profits !

Alors oui, une politique des Jours heureux serait financée par une fiscalité qui mettrait à contribution profits, dividendes, patrimoines et très hauts revenus !

La Vienne Démocratique : Milliards en fuite se conclut par « Engagez-vous ». Quels sont les motifs d’espoir sur lesquels travailler  ?

Éric Bocquet : D’abord dire et démontrer qu’il y a un argent fou dans notre société, c’est le premier étage de la fusée transformatrice. L’austérité et la réduction de la dépense publique ne doivent rien à la fatalité. Quand Fabien Roussel déclare vouloir reprendre le pouvoir à la finance, il vise juste.
Nous devons reprendre la main, ça passe par un accroissement des droits des salariés dans toutes les entreprises pour réorienter les choix d’investissements prenant en compte les besoins sociaux et environnementaux. Cela passe également par l’élection de parlementaires qui contesteront pied à pied la domination des marchés financiers sur nos sociétés et y compris les États. Il n’y a ni souveraineté ni démocratie sous la tutelle des financiers ! Tels sont les enjeux de fond dans le débat électoral du moment. Tout dépend bien de l’engagement individuel et collectif.

Entretien réalisé par Hugo Blossier

* Sans domicile fisc, Alain et Éric Bocquet, Le Cherche Midi, 2016, 288 pages, 17,50 €
** Milliards en fuite, Alain et Éric Bocquet, Le Cherche Midi, 2021, 214 pages, 17 €

À se procurer dans les librairies indépendantes.

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