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De quoi Zemmour est-il l’instrument ?

En l’espace d’un mois, Eric Zemmour, polémiste d’extrême droite, islamophobe, star de Cnews, plusieurs fois condamné, est omniprésent sur l’ensemble des radios, chaînes de télévision et réseaux sociaux. Cette propagande médiatique organisée n’a sûrement jamais autant profité à un candidat dans toute l’histoire de la Vème République. Ni Mélenchon, ni Roussel, ni Asselineau, ni Dupont-Aignan, ni même Macron n’a profité d’un tel engouement médiatique. Au même moment, Zemmour sort son livre et l’ensemble des hypermarchés le mettent en tête de gondole afin d’assurer des ventes en masse. 100 000 exemplaires se seraient déjà vendus au moment où nous écrivons ses lignes et 15 % d’intentions de vote. Cette campagne médiatique et commerciale atteint son objectif : faire de Zemmour un idiot utile du capital.

Il semble évident que cela n’est ni dû au hasard ni dû à un engouement de la population qui réclamerait le raciste notoire de Cnews. Non, tout ceci est bien orchestré par les capitalistes qui voient dans le personnage un nouveau moyen d’assurer la domination de leurs intérêts. Depuis maintenant un an, l’ensemble des sondages s’accordaient à dire que le duo Macron-Le Pen était inévitable. À gauche les dés semblent jetés, faiblesse et division neutralisent les candidats. Mélenchon, le candidat le mieux placé à gauche atteint 13 % d’intentions de vote. Les perspectives sont peu réjouissantes. À droite, les républicains semblent perdus dans des guerres internes et sans espace politique, déjà bien occupé par Macron. Aussi, s’il était difficile de savoir précisément qui allait gagner le duel final annoncé Le Pen/Macron, il était donc peut-être temps pour les capitalistes, de changer de stratégie afin de s’assurer que le meilleur représentant du capital l’emporte. Macron, Bertrand, Pécresse, Hidalgo, peu importe, pour les capitalistes l’heure n’est peut-être pas encore venue de recourir à la violence d’un nationalisme car la contestation sociale est loin d’être insoutenable ni organisée dans un parti révolutionnaire.

Mais ne nous réjouissons pas d’une « division des voix » de l’extrême droite. D’abord avec deux candidats bien placés le temps d’antenne pour leurs idées ne peut qu’augmenter. Zemmour contribue à minimiser l’idée du « risque » Le Pen mais aussi à continuer de « normaliser » le RN, finalement l’épouvantail c’est Zemmour et Le Pen est une candidate « normale ». Enfin, si la division peut empêcher les dynamiques, elle peut aussi amener un arc plus large à se mobiliser (les plus « durs » se retrouvent chez Zemmour, les électeurs plus modérés peuvent alors voter LePen pour finalement venir renforcer ensemble celui ou celle des deux qui serait qualifié au second tour…

Eric Zemmour est habile, son discours est bien rôdé et ses formules semblent intelligentes et dans ce sens il est un extrémiste dangereux. Mis en avant il y a quelques années par Laurent Ruquier, identifié comme ayant une sensibilité plutôt de gauche, il agissait comme une mouche de coche de la droite dans une émission de divertissement. Journaliste de profession, il écrit des articles pour le Figaro et intervient comme éditorialiste chez RTL. Un parcourt classique pour un journaliste de droite. En ce sens, il est un pur produit du système capitaliste.

Dans la Vienne, en moins d’un an les actes ciblés de propagande fasciste et parfois violents n’ont eu de cesse de se multiplier.

Le tournant vient des stratégies de Vincent Bolloré. Nous ne saurions que vous conseiller la lecture des excellents articles sur la fabrique d’opinions réalisés par le journal L’Humanité. Rachetant le groupe Canal + (donc Cnews), il évincera tous les journalistes qui critiquent de près ou de loin les idées d’extrême droite. Sébastien Thoen sera viré pour avoir parodié la fameuse émission de Pascal Praud « l’Heure des pros ». Pour lui avoir affiché son soutien, Stéphane Guy pourtant présentateur vedette de canal, sera également viré. Bolloré installe ses pions à tous les niveaux du groupe médiatique et fait régner la peur afin d’en faire un outil de propagande d’idée d’extrême droite à l’image de la Fox aux Etats-Unis. Et c’est là que Zemmour vient jouer son rôle en diffusant massivement ses idées nauséabondes qui ciblent prioritairement l’islam, les musulmans, les migrants et les femmes. Le plan Bolloré est si grossier que la chaîne Cnews a été rappelée à l’ordre par le CSA pour manque de diversité d’opinion. Ainsi 36 % des invités de Cnews sont d’extrême droite, 39 % sont de droite et moins de 25 % sont de gauche (si on considère tous les représentants du PS comme étant de gauche). Un jour sur 4 l’invité de la matinale est d’extrême droite tandis que LCI (deuxième chaîne avec le plus d’invités d’extrême droite) est seulement à 15 % des jours. La place médiatique faite à Zemmour n’est due ni à un phénomène sociétal ni à une percée intense et spontanée des idées d’extrême droite en France, mais à une entreprise d’influence de masse pour infuser les idées les plus réactionnaires.

Si l’on s’intéresse maintenant à qui finance Zemmour, les résultats sont tout aussi flagrants. C’est Julien Madar qui s’occupe des finances de la campagne du candidat extrême droite. Ancien banquier d’affaire chez Rothschild, il a fait ses études à Colombia aux Etats-Unis, puis à New York. Il serait une dizaine de banquiers d’affaire à travailler dans la cellule de financement du candidat. Parmi eux, Jonathan Nadler, qui a lui aussi travaillé pour Rothschild avant d’être embauché par JP Morgan. Ces deux hommes se sont réparti les tâches, le premier ayant pour objectif de récolter l’argent et le second de travailler sur le programme économique. Le troisième larron, bien connu des milieux d’extrême droite, est Charles Gave dont la fortune est inconnue précisément, car détenue dans des paradis fiscaux. Il est à la tête d’une entreprise de gestion de « portefeuilles » basé à Hong Kong. Son entreprise gérerait le portefeuille de plus de 800 sociétés pour un total de 3,5 milliards de dollars. Il affiche clairement son soutien financier à Zemmour qu’il souhaiterait voir élire pour mettre au pouvoir la « ligne dure, libérale, conservatrice et identitaire dont il se revendique ». Lors d’un entretien avec Paris Match en juillet 2021, Charles Gave déclare que la campagne d’Éric Zemmour ne « coûtera pas cher, on lancera une chaîne YouTube depuis la Russie et on se débarrassera des sangsues, des brigands, de cette haute fonction publique ». Je crois qu’on ne peut pas faire plus clair. Dis-moi qui paie et je te dirais pour qui tu travailles. Zemmour est incontestablement l’idiot utile du capital et, cerise sur le gâteau, du capitalisme international.

Le problème cependant n’est pas que Zemmour soit un idiot utile, mais plutôt qu’un certain nombre d’idiots inutiles suivent Zemmour et l’extrême droite d’une façon plus générale. L’entreprise de fabrique d’idée de Bolloré qui entraîne tout le paysage médiatique avec elle fait des ravages. Dans la Vienne, en moins d’un an les actes ciblés de propagande fasciste et parfois violents n’ont eu de cesse de se multiplier. Le collège de Chauvigny a été tagué de croix gammées à l’occasion de la venue d’un témoin de la Résistance. Des banderoles contre les migrants ont été déployées sur la rocade de Poitiers où l’on voit aussi fleurir quelques autocollants de petits groupes de nazillons. Des autocollants anti-IVG ont été collés sur les locaux du planning familial. Ceux de la fédération du PCF de la vienne ont été tagué de symboles d’extrême droite lors du dernier 1er mai et plus récemment encore des militants de la CNT sont tombés dans une embuscade lors d’une manifestation à Poitiers.

Nous le voyons par l’exemple de Zemmour : lutter contre l’extrême droite, c’est forcément lutter contre le capitalisme et donc offrir une alternative au système actuel. Leur objectif de manipulation des masses pour diviser et détourner la colère fonctionne parfaitement. Il ne suffira pas de dire que le fascisme c’est immoral, que le racisme c’est illégal… Les travailleurs désespérés ou désorientés, tentés par les idées d’extrême droite ont déjà dépassé le stade de l’éthique. L’extrême droite se présente en pourfendeur d’un système corrompu quand bien même c’est le système qui la finance. Ce système qui dilapiderait notre argent pour différents ennemis de l’intérieur (migrants, assistés, chômeurs, étrangers…) et qu’il suffirait de rendre au travailleur « Français » qui ne s’en sort pas. Le discours est rodé depuis des décennies et la machine est bien huilée. Il faut donc le démonter point par point et passer à l’offensive, car si le travailleur ne s’en sort pas, la faute n’en est ni à l’étranger ni au fainéant imaginaire ni à l’assisté fantasmé, mais bien au coût du capital qui capte et gaspille l’immense majorité des richesses que nous produisons. Si la colère est légitime, il est nécessaire de ne pas la laisser instrumentaliser par l’autre camp  : luttons contre l’extrême droite, renversons le capitalisme.

Fabien Lecomte

Secrétaire de la section PCF Sud Vienne

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