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La grève des facteurs de Lusignan

Les militants syndicaux ou politiques font l’expérience de la lutte, souvent la première fois reste pour toujours gravée en mémoires et indépendamment du fait que cette expérience fut victorieuse ou non. Ce moment remonte pour certains d’entre nous à plusieurs années et fut suivi de nombreux autres. On peut alors avoir tendance à oublier que pour une bonne partie des travailleurs, la lutte engagée peut-être leur première. Jeudi 25 novembre, les facteurs de Lusignan ont décidé à 95 % de se mettre en grève contre la coupure méridienne et pour la titularisation d’une salariée en contrat précaire. L’immense majorité des agents, n’avait jamais fait grève de leur vie et ceci malgré jusqu’à 35 années de carrière dans l’entreprise.

Pour comprendre leur revendication il faut avoir en tête que la coupure méridienne est une pause au milieu de la tournée du facteur qui le pousse à arrêter le travail, rentrer au centre courrier, manger puis repartir en tournée. Or le travail de facteur s’effectue le matin, afin que les usagers puissent avoir leurs courriers, journaux et colis dans la matinée et ainsi le traiter le reste de la journée. La vie personnelle du facteur est organisée autour de ses horaires atypiques. La poste a décidé de briser ces habitudes, si bien que les derniers usagers (qui sont aussi des entreprises) peuvent avoir leur courrier à 15h ou même 17h pour certains bureaux. Pour le facteur, la deuxième partie de la tournée s’effectue sur le temps de digestion et rend le travail finalement plus pénible que s’il s’effectuait d’une traite. Cela crée aussi un stress pour finir son travail à temps et une fatigue supplémentaire avec des journées plus longues.
Quant au contrat précaire, cela fait maintenant 3 ans que la jeune femme concernée (seule avec enfant) effectue son travail comme tous les autres facteurs, mais ne bénéficie ni des primes, ni du salaire, ni des conditions de travail, ni même de la sécurité d’un CDI postale. Il y a moins d’un an la poste avait « remercié » une autre collègue en CDI intérimaire après 7 ans de travail et qui avait eu le malheur d’être enceinte.

Maintenant qu’ils ont relevé la tête, il sera plus difficile de leur faire rebaisser

Après avoir voté la grève, les facteurs se sont réunis devant leur bureau de poste et ont pris la direction de l’INRAE où la CGT du site les a accueilli en leur présentant sa totale solidarité. Autour d’un café et au chaud que les langues ont pu se délier franchement pour discuter ensemble des conditions de travail, des revendications et de la mise en place d’une stratégie de lutte. A l’issue de plusieurs heures de discussion, ils ont décidé de mettre en place une grève du zèle. Pour les postiers, la grève du zèle est de loin la grève la plus efficace si elle est tenue et respectée par les grévistes, mais sûrement aussi la plus difficile a mettre en place car il faut que chacun joue le jeu et s’y tenir dans la durée. Elle consiste à faire très strictement ce que demande la direction, ni plus, ni moins, en respectant les horaires et consignes de travail (en ralentissant plus ou moins légèrement la cadence habituelle). En parallèle, il a été décidé de déposer un préavis de grève pour les 12 et 13 décembre puis un autre pour les 22, 23 et 24 décembre.

Dès le lundi 29 novembre et après 3 jours de grève, la grève du zèle a débuté. Tous les facteurs jouant le jeu, à peine la moitié de la tournée est distribuée sur tout le pays mélusin suite au ralentissement de la cadence. Le courrier et les colis s’entassent très vite, et la poste est contrainte de payer les agents au travail. En moins de trois jours, le mercredi 1er décembre, la direction départementale de la poste contacte la CGT pour « négocier ». La négociation fut fixée au lundi 6 décembre, les agents poursuivirent la grève du zèle tant que les négociations n’étaient pas abouties. Après négociations, la Poste a déclaré qu’elle abandonnait la pause méridienne en prétextant seulement la situation sanitaire exceptionnelle. Durant une prise de parole le 7 décembre, la direction a déclaré qu’elle refusait toutefois de prendre cet engagement à l’écrit pour ne pas créer de précédent pour d’autres bureaux de Poste.
Qu’à cela ne tienne, les facteurs ont décidé de prendre ce qui était gagné par la lutte mais de ne pas lâcher la pression. Ils ont tous signé une pétition disant que si la direction ne respectait pas son engagement oral, la grève reprendrait. C’est une victoire sur cette revendication, mais le lien de confiance qui était déjà bien entamé est maintenant totalement rompu.
Concernant la collègue en CDI intérimaire, la direction a affirmé qu’elle avait déjà titularisé le quota de postes dont elle avait l’autorisation nationale pour 2021, mais que la personne était désormais prioritaire pour obtenir un CDI postal pour 2022. La victoire n’est pas totale sur ce point, c’est une promesse d’embauche orale, mais sera-t-elle tenue ?

Cette première expérience de lutte se conclut par une victoire qu’il est important d’apprécier pour les facteurs de Lusignan. Maintenant qu’ils ont relevé la tête, il sera plus difficile de leur faire rebaisser. Quelque part, peu importe l’issue de la grève, désormais les agents savent qu’ensemble ils sont plus fort et le chemin de la lutte ne leur est plus inconnu et cela, la Poste ne pourra jamais leur reprendre.

Fabien Lecomte

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