D’ici le 8 mars prochain, La Vienne Démocratique publie en 5 épisodes et à raison d’un épisode par semaine l’intervention publique de Françoise Poteau, prononcée le 8 mars 2020 en Sud Vienne à l’invitation du Parti Communiste et Front de Gauche, et actualisée en 2021.
2ème partie : De la Révolution à la Commune de Paris
Les femmes pendant la Révolution française
Les choses sont complexes. Les femmes sont particulièrement actives dès ses prémices notamment lors de la journée des Tuiles (à Grenoble en 1788, la population prend les armes pour empêcher le départ des parlementaires souhaité par le Roi) puis en 1789, elles sont les premières à se rendre à Versailles pour ramener les souverains à Paris (la garde républicaine n’intervenant que l’après-midi). En 93, 95, ce sont elles qui entraînent les hommes mais elles sont exclues des assemblées politiques bien qu’elles se pressent dans les tribunes : on les appelle les « tricoteuses ». Exclues des assemblées révolutionnaires, elles se regroupent en club dans environ 30 villes (elles s’intéressent à l’éducation des jeunes filles pauvres, au divorce, aux droits politiques des femmes) mais les clubs féminins sont interdits le 30 octobre 1793.
La constitution de septembre 1791 définit de façon identique l’accession à la majorité civile mais c’est la grande loi de septembre 1792 qui instaure la possibilité du divorce…
Olympe de Gouges fut l’une des femmes qui s’illustra dans ce combat. Mariée à 18 ans et très vite veuve, elle refuse de se remarier… Le statut de veuve était le seul qui assurait une autonomie financière. Elle en profita pour vivre à Paris, se cultiver, diriger une compagnie de théâtre, être politiquement très active (soutient la cause des catégories opprimées et combat pour le divorce, contre l’esclavage et contre la peine de mort). Sa grande œuvre est la Déclaration des Droits de la Femme et de la Citoyenne en 1791 qui est une réponse à la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Girondine et contre l’exécution du roi, elle fut guillotinée en 1793, elle qui avait écrit “La femme a le droit de monter à l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la tribune.»
Une autre femme beaucoup moins connue, joua cependant un rôle important, c’est Claire Lacombe. Avant la Révolution elle est actrice à Marseille et Lyon, arrive à Paris en 92 où elle fréquente le club des Cordeliers et participe le 10 août à l’assaut des Tuilleries. Elle a prononcé un bref discours à la barre de l’Assemblée Nationale. Proche des «Enragés» elle milite contre le chômage et l’accaparement des richesses… Elle fonde la «Société des Républicaines Révolutionnaires» mais son action hérisse certains, elle est en danger à Paris et se réfugie à Nantes où elle reprend son métier de comédienne puis on perd sa trace.
Une anglaise, née à Londres en 1759, Mary Wollstonecraft, écrira des œuvres féministes où elle s’attaque à Burke qui lui avait essayé de condamner la Révolution française qu’elle soutient depuis l’Angleterre.
Napoléon et le code civil : le grand retour en arrière !
Les acquis, malgré tout importants, de la Révolution vont être laminés par Napoléon et son terrible code qui laisse encore aujourd’hui des traces !
Rédigé en 1804 le code civil français consacre l’incapacité juridique totale de la femme mariée considérée comme une éternelle mineure (sauf pour ses fautes) : interdiction d’accès aux lycées et à l’Université, de signer un contrat, de gérer ses biens, de travailler sans l’autorisation du mari, de toucher elle-même son salaire, de voyager à l’étranger sans autorisation, exclusion totale des droits politiques, contrôle du courrier et des relations, répression très dure de l’adultère pour les femmes, aucun droit pour les filles-mères et les enfants naturels…
«Les personnes privées de droits juridiques sont les mineurs, les femmes mariées, les criminels et les débiles mentaux […] La femmme et ses entrailles sont la propriété de l’homme.»
N’oublions pas que c’est en 1970 seulement que la fonction de chef de famille a été supprimée !
Les mouvements révolutionnaires du XIXème siècle ne sont pas toujours féministes. En 1848 on interdit aux femmes d’assister aux réunions des clubs politiques par exemple !
La Commune de Paris : Les femmes jouent un grand rôle mais …
Pendant la Commune de Paris en 1871, la participation des femmes est spectaculaire.
Jules Vallès, dans son discours lors de l’enterrement de Victor Noir en janvier 1870 déclare : «Des femmes partout. Grand signe. Quand les Femmes s’en mêlent, quand la ménagère pousse son homme, quand elle arrache le drapeau noir qui flotte sur la marmite pour le planter entre deux pavés, c’est que le soleil se lèvera sur une ville en révolte.»
Paris est assiégé par les troupes allemandes depuis plusieurs mois et le gouvernement réfugié à Versailles signe l’armistice et tente de désarmer la ville depuis le 8 mars mais les femmes protègent les canons de Montmartre que les parisiens considèrent comme les leurs et les troupes versaillaises se replient le 18 mars : c’est le début de la Commune de Paris. Pendant cette période d’insurrection contre le gouvernement qui dura deux mois s’ébauche une organisation de la ville proche de l’autogestion où les femmes jouent un rôle déterminant. Elles mettent sur pied des ateliers autogérés, des crèches, des cantines, des organismes de solidarité, participent aux clubs, insufflent un courant féministe et participent en première ligne aux combats pendant la « semaine sanglante » épisode final où la Commune est écrasée et ses membres exécutés en masse, faisant environ 30 000 victimes dont beaucoup de femmes et parmi les survivantes beaucoup furent déportées.
Je ne pourrai évoquer que quelques noms :
Nathalie Lemel, ouvrière dans un atelier de reliure, adhérente à l’Internationale, avait été élue déléguée syndicale. Pendant la Commune elle fonde et anime un restaurant collectif et crée l’Union des femmes pour la défense de Paris et les soins aux blessés et lors de la Semaine sanglante, à la tête d’une troupe d’une centaine de femmes, elle fait le coup de feu. Arrêtée, elle passe en Conseil de guerre et est condamnée au bagne en Nouvelle Calédonie où elle partagera la cabane de Louise Michel.
André Léo, née Léodile Béra à Lusignan, a vécu ensuite à Champagné Saint Hilaire dans une famille de la bourgeoisie éclairée. Elle devient écrivaine et vivra de sa plume. Féministe et républicaine, elle participera naturellement à la Commune. Elle publiera en particulier à 100 000 exemplaires un «Appel aux travailleurs des campagnes» pour nouer le dialogue entre le prolétariat urbain et les travailleurs ruraux. Elle se réfugiera en Suisse pour revenir après l’amnistie de 1880.
Louise Michel, la plus célèbre des communardes, était enseignante laïque (enseignement privé donc non religieux et aux méthodes pédagogiques très modernes). Elle participe physiquement à tous les combats de la Commune et réussit à s’échapper à la fin mais se livrera pour libérer sa mère, arrêtée à sa place et menacée d’exécution. Elle passe en conseil de guerre devant lequel elle revendique sa participation. Elle est condamnée à la déportation où elle refusera tout traitement de faveur en tant que femme. Elle découvre la culture Kanake et apprend à lire et à écrire aux indigènes dont elle soutiendra la révolte en 1878 ce qui ne fut pas le cas de tous les déportés. Elle est accueillie par une foule nombreuse à son retour à Paris en 1880. Les 25 dernières années de sa vie sont consacrées à militer pour la cause libertaire. Elle soutient en particulier des manifs de chômeurs, la grève des mineurs de Decazville ce qui lui vaudra plusieurs fois la prison. Son enterrement en 1905 est accompagné par un immense cortège.
Après la Commune, le règne du patriarcat bourgeois
La bourgeoisie traite fort mal les occupantes des chambres de bonnes, corvéables à merci, mises enceintes par les pères et les fils et mises à la porte ensuite ! D’ailleurs les épouses bourgeoises ne sont pas beaucoup mieux traitées, comme je l’ai découvert dans un remarquable roman récent Le bal des folles (de Victoria Mas chez Albin Michel) consacré à un épisode incroyable mais véridique de l’histoire de l’Hôpital de la Salpêtrière. Cet hôpital fondé sous Louis XIV où croupissaient, dans des conditions infernales, environ 10 000 femmes accusées de débauche, mendicité, d’avoir pratiqué ou subi un avortement, devient un peu moins inhumain avec l’arrivée du médecin Charcot mais cette scandaleuse fête du Mardi gras fait s’y presser la foule bourgeoise déguisée, mélangée avec les «patientes». L’écrivain Georges Darien écrit à ce sujet dans Le Voleur «C’est le jour béni où sont exposées toutes ces pauvres créatures qu’un amour malheureux, la perte d’un être cher, des chagrins de famille, des revers de fortune, ou d’autres causes incongrues ont fait échouer dans ce purgatoire dont la porte ne s’ouvre guère.» En effet ce bal fait se rencontrer « malades» et « gens de la haute» déguisés. Certaines des malades sont des femmes venues de la bourgeoisie et internées car dites «hystériques», c’est à dire que leur maladie mentale viendrait de leur utérus mais ce pouvait être surtout des femmes déprimées, des victimes d’un viol ou des femmes dont le mari voulait se débarrasser pour leur prendre leur argent ou installer sa maîtresse au foyer…