Tribune libre publiée dans l’Humanité du 12 novembre 2021.
L’air du temps est, à coups de matraquage publicitaire, la promotion des véhicules électriques comme moyen de remplacement des voitures à moteur thermique. Une nouvelle technologie n’est pas sans créer de nouvelles problématiques, ici celles de l’extraction durable du lithium et du recyclage des batteries lithium-ion de ces voitures (1). Pourtant, ces enjeux autour de ces problématiques, pour l’heure, sont difficilement solubles et loin de rencontrer un large écho. Une industrie automobile qui construit de nouveaux véhicules à foison constitue une impasse.
La pandémie de Covid a mis en exergue différents aspects : le caractère antidémocratique de la gestion de crise, l’absence de réponses à la hauteur à gauche, l’émergence de fake news sur les vaccins et les traitements contre le Covid, l’effervescence de la recherche scientifique marquée par une forte collaboration et la mainmise du secteur privé, les lacunes du tissu industriel.
La crise démocratique dénote également une crise du crédit accordé aux sciences et techniques. Les enjeux et évolutions que déploient les sciences et techniques sont complexes, et trop souvent ce sont des positions binaires et simplistes qui sont posées par les groupes d’intérêt particulier.
Le citoyen profane doit pouvoir acquérir par lui-même et le collectif les éléments nécessaires à sa prise de décision. Et, disons-le, chacun d’entre nous est profane sur bon nombre de sujets, il faut avoir l’humilité de ne pas savoir mais aussi la curiosité d’en savoir plus. Si l’État n’est pas à rejeter en bloc, en revanche c’est un État qui donne des outils nécessaires au débat qui est incontournable, et en même temps c’est une socialisation de l’État qui est nécessaire : les travailleurs, les citoyens, quels que soient leur genre et leur nationalité, doivent pouvoir être impliqués en s’appropriant et en créant des cadres, pour élaborer des propositions radicales tangibles.
c’est une appropriation régulière des enjeux scientifiques par le plus grand nombre qui s’avère nécessaire
Cela suppose une éducation aux sciences, aussi bien institutionnelle que populaire. Au travers de l’école, de l’enseignement secondaire, de la licence. La culture commune scientifique en lycée général n’est pas à la hauteur : la réforme Blanquer a transformé de la culture scientifique en un à-côté, dans les faits. Qui plus est, cette culture commune n’est pas à construire au lycée, mais bien avant : comme l’a montré Clémence Perronnet (2), c’est dès l’école que se construisent les rapports aux sciences et aux techniques, notamment dans les milieux populaires qui tendent à s’éloigner de celle-ci. Se sentant illégitimes, et ne reconnaissant aucun modèle qui leur parle, les sciences deviennent pour elles et eux un monde étranger. Souvent, c’est une critique des sciences via le prisme du progrès irraisonné et du profit privé qui est mise en exergue.
L’histoire et la philosophie des sciences et des techniques mériteraient d’être développées en dehors du champ universitaire, pour questionner ouvertement et sans détour la marche des sciences et des techniques. Là se joue également la place de l’éducation populaire : c’est une appropriation régulière des enjeux scientifiques par le plus grand nombre qui s’avère nécessaire.
Chacun et chacune doit pouvoir enrichir à son rythme sa culture scientifique de manière éclectique et développer des visions critiques de la science. Cela est nécessaire pour permettre la pleine entrée dans le champ démocratique de chacun et de chacune, pour pouvoir prendre sa part humble et affirmée aux décisions collectives qui façonnent l’avenir du pays sur le plan industriel.
Dans les choix stratégiques de l’État et des entreprises privées, sur le vaccin, la majorité voit, même sans culture scientifique prononcée, l’entrave faite aux travaux des chercheurs. À juste titre, c’est l’indignation qui prime. La nécessité de choix démocratiques sur les grands projets stratégiques se fait jour plus que jamais. C’est accepter, à l’échelle collective, de mettre un coup d’arrêt à des collectifs de travail, mais aussi d’en créer de nouveaux.
il s’agit de sélection politique aux échelons local et national, non plus une sélection par les banques, par les marchés
Néanmoins, la décision collective démocratique ne signifie pas une mise à mort sociale des individus. Ici, il s’agit de sélection politique aux échelons local et national, non plus une sélection par les banques, par les marchés, mais par la délibération collective argumentée et contradictoire. Faire cela, c’est faire acte de confiance envers les travailleurs et travailleuses, acteurs et actrices de la cité. Et surtout montrer que rien n’est immuable.
Finalement, c’est un nouvel aménagement du territoire à l’échelon national et européen, fruit de la délibération collective marquée par un roulement des personnes impliquées, qui est nécessaire. Le tissu industriel national doit être fait de telle sorte que de nombreux territoires bénéficient de l’implantation d’industries stratégiques.
Là où l’Union européenne (UE) est plus une puissance normative qu’industrielle, c’est depuis l’échelon national que l’on pourra impulser un développement organisé et cohérent des activités industrielles à l’échelon européen. La France ne peut pas tout produire toute seule, mais en coopération libre et associée avec les autres États européens, membres ou non de l’UE.
Cela suppose ainsi de rompre avec les logiques de marché qui entraînent une asymétrie des territoires et des industries, créant autant de métropoles et de périphéries. À l’inverse, c’est un réseau de villes, de régions et d’États producteurs raisonnés qui est à développer où aucun n’est le centre de l’Univers. Plus que jamais, la solution complexe aux crises multiples du capitalisme est la démocratie.
Jérémy Roggy,
membre du comité exécutif local de la section PCF de Poitiers