“Où es-tu Sacha Houlié ?” par le comité d’élèves acteurs de la casserolade.
Prescrites la veille par les lycéens, trois formules sacrées régnaient dans les bouches en colère : non-violence, action à visage découvert, discrétion. Si les deux premières furent respectées, la troisième se laissa facilement oublier face aux drapeaux flamboyants de la CGT, déployés dès 13h devant le lycée de Jaunay-Marigny. On accepte, il faut s’adapter pour préparer au mieux un accueil très spécial. Vendredi 28 avril. Une journée de cours où le LP2I compte quelques chaises abandonnées dans ses salles habituellement pleines. Les lycéens répondent à un autre appel que celui du savoir : la révolte.
Les lycéens répondent à un autre appel que celui du savoir : la révolte.
Une classe de terminales s’apprête à recevoir la visite de Sacha Houlié, député de la Vienne, président de la commission des Lois, fondateur des Jeunes avec Macron et rouage essentiel pour le parti Renaissance. À quel sujet ? La réponse à l’invitation d’un professeur d’animer un débat sur le thème de la démocratie. Après l’adoption de la réforme des retraites par un énième 49.3 quatorze jours plus tôt, c’est une cruelle ironie que refusent élèves, militants et syndicalistes prenant place à l’entrée du bâtiment en forme de vaisseau une heure avant le rendez-vous. Soudain, la voiture noire. Elle arrive par un autre accès au bâtiment. Les paires de jambes se déploient à toute vitesse à sa poursuite, mais sont arrêtées net à la rencontre de la police, qui encercle déjà le lycée et bloque tout accès vers le député. Chacun se précipite. Connaissant le lieu, les rebelles se ruent à l’intérieur, munis de casseroles sur lesquelles ils déchaînent une colère féroce. De haut en bas et du nord au sud, des groupes se forment et habitent les couloirs dans un concert d’aluminium et de cuivre. Est-il au rez-de-chaussée ? Au deuxième ? Au premier ? Nul ne sait.
Le parlementaire demeure comme un fantôme pour tous ceux qui le traquent. Des syndicalistes adultes sont vite chassés par les forces de l’ordre, qui ne s’embarrassent pas d’indulgence pour exécuter des contrôles d’identité. De minute en minute, les lycéens se retrouvent seuls dans le piège de leur propre école. Intérieur, extérieur, il est impossible de rejoindre l’un quand on est à l’autre, car chaque issue – de secours y compris – est hermétiquement gardée par la police. L’alarme incendie a été débranchée. Certains se résignent à la voie des étroites fenêtres de la bibliothèque pour retrouver l’air libre.
À 15h, ils attendent tous dehors. Dans une salle au fond d’un couloir que protège une muraille de policiers 10 mètres à la ronde, Sacha Houlié est à l’abri du grondement des casseroles pour discuter de sa vision de la démocratie. Les révoltés, frustrés, sont tombés nez-à-nez avec cette réalité troublante : grâce à la force hostile et quelques menaces dissuasives de ses policiers, le député est parvenu comme prévu à rejoindre la classe. L’instant de sa sortie est guetté par les lycéens et membres de la CGT, qui se regonflent de courage et répètent inlassablement les mots d’ordre :
“Prudence ! Non-violence !”. Le calme revient après le bouillonnement général. 30 minutes plus tard, la voiture fuse. Elle part d’une issue inattendue pour le mouvement, qui s’y rue à sa poursuite sur le grand parking en criant à la honte. Sacha Houlié a filé.
Au même moment, un militant de vingt-cinq ans est traîné sur l’asphalte par des policiers.
Au même moment, un militant de vingt-cinq ans est traîné sur l’asphalte par des policiers. Ayant refusé d’enlever son masque, il est violenté à terre au milieu d’une foule courageuse mais impuissante, qui tente de l’aider avant d’être brutalement repoussée par les forces de l’ordre. Tous crient pour la libération de l’homme. Les plus téméraires se jettent sur lui pour l’arracher à l’embarquement. Rien à faire. Le corps en émoi, la peur dans les yeux, il est entraîné vers les fourgons aboyant POLICE en grandes lettres blanches. Une femme se jette devant le véhicule, la seconde plus tard sonnée au sol sur lequel elle a violemment été projetée. Les portières claquent. Le monde hurle. Derrière la vitre bleue, l’homme disparaît.
En une poignée de minutes, le choc s’est abattu sur les lycéens ébranlés d’avoir rencontré le paradoxe de la police : c’était elle la mère de la violence. “Actes d’intimidation lors d’un temps d’éducation à la citoyenneté”, ce sont les mots du préfet de la Vienne pour qualifier sur Twitter l’accueil réservé à Sacha Houlié. Mais pour les révoltés, une victoire au moins est remportée : celle d’avoir fait comprendre au député que le lycée où il a lui-même grandi n’est plus le sien.
Communiqué des personnels du LP2I
Les personnels du lycées réunis en heure d’information syndicale le jeudi 4 mai 2023 tiennent à revenir publiquement sur les évènements qui se sont déroulés dans l’enceinte du lycée dans l’après-midi du vendredi 28 avril, à l’occasion de la visite du député Sacha Houlié.
Nous dénonçons la présence d’un dispositif policier démesuré qui n’était là que pour garantir la sécurité de M. Houlié, au mépris de celle des élèves et des personnels. Nous regrettons fermement l’intrusion dans l’établissement de personnes étrangères au lycée et constatons que le dispositif d’alerte en cas d’intrusion n’a pas été déclenché.
Nous témoignons notre soutien aux élèves et aux personnels
Nous témoignons notre soutien aux élèves et aux personnels qui ont été empêchés de rentrer dans leur lycée, parfois bousculés par les forces de l’ordre, ou qui ont été victimes de malaises ou d’attaques de panique au cours des multiples mouvements de foule de l’après-midi. Beaucoup d’élèves nous ont fait par de leur sentiment d’insécurité, qu’ils/elles aient été ou non parties prenantes de l’action de contestation. Certain.e.s ont été particulièrement choqué.e.s par l’immobilisation brutale et l’arrestation d’un militant qui s’est déroulée sous leurs yeux sur le parking du lycée, alors même que M. Houlié avait déjà quitté l’établissement.
Certain.e.s ont été particulièrement choqué.e.s par l’immobilisation brutale et l’arrestation d’un militant qui s’est déroulée sous leurs yeux
La direction de l’établissement avait averti quelques jours plus tôt le député et le rectorat de Poitiers que les conditions n’étaient pas réunies pour qu’elle se déroule bien. Comme cela était donc prévisible, les cours n’ont pas pu avoir lieu normalement, et c’est toute la vie du lycée qui a été bouleversée. Pire, la sécurité des élèves et la sérénité nécessaire à la vie pédagogique et éducative ont fait les frais de la volonté du gouvernement et du député de passer en force partout où ils le décident, quoi qu’il en coûte.